Issu d’une famille d’agriculteurs d’origine alsacienne établie depuis le milieu du 17è siècle à Walfrange, dans le sud-est du pays, Peter Ehlinger ouvre un café dans le village voisin de Dalheim, au début du 19è siècle. Une façon de de générer des revenus supplémentaires alors que la culture de la pomme de terre suffisait à peine à nourrir sa nombreuse famille.
Un de ses petit-fils, Joseph, va plus loin au début du 20è siècle, en achetant une maison dotée d’un verger de 5 ha produisant suffisamment de fruits pour distiller et commercialiser des eaux-de-vie auprès des cafetiers voisins.
En même temps cultivateur, arboriculteur, distillateur ou encore «Foërmann» (c’est-à-dire transporteur), il décède accidentellement en 1919, âgé de 77 ans. C’est son petit-fils Robert, alors âgé de 16 ans, qui se retrouve propulsé seul à la tête de la ferme et de la distillerie familiale.
Les temps difficiles au lendemain de la Première guerre mondiale et les aléas de la vie de bouilleur de cru ont raison de la patience de Robert. Il choisit, en 1923, de rejoindre à Luxembourg son beau-frère, Adolphe Krieps, qui commençait à connaître beaucoup de succès avec ses activités de commerce de charbon et de transports.
C’est le début d’une période florissante au cours de laquelle les activités se diversifient (transport ; matériaux de construction ; extraction de sable de la Moselle dans une carrière qu’ils achètent à Wasserbillig ; agences de douane avec entreposage ; déménagements et autres courses), portées par l’achat d’un premier véhicule rudimentaire et par l’arrivée de nouveaux associés au sein de la famille Ehlinger, réinvestissant dans l’affaire les fruits de la vente des activités rurales antérieures (y compris le café).
Mais la crise de 1929 remet tout en question et au fil des ans, la précarité de la situation économique perdure, au point que les trois associés décident, en décembre 1939, de dissoudre l’entreprise et d’en scinder les activités. Robert Ehlinger et son frère Auguste créent alors la société Arelux et ne s’occupent plus que de la vente de charbon.
Là encore, les temps deviennent vite durs, surtout au lendemain de la Seconde guerre mondiale. Les ventes de charbon déclinent au profit du mazout et en 1958, Arelux est dans une situation financière très difficile. À 60 ans, Robert Ehlinger doit de nouveau recommencer à zéro et finit par acheter un camion-citerne de 5.000 litres pour ne pas perdre ses derniers clients démarchés par l’intermédiaire avec lequel il assure les commandes de mazout.
En transformant un jardin cultivé avec soin en un dépôt de stockage de mazout d’une capacité de 120.000 litres, la société Robert Ehlinger & Fils’, alors dirigée par Marcel, le fils, repart de l’avant et noue des partenariats avec des grossistes en produits pétroliers livrant du gas-oil à des prix compétitifs au départ d’Anvers.
Une première station essence est ouverte en 1960. D’autres suivent rapidement, en même temps que la société installe des milliers de fûts et de réservoirs partout dans le pays, chez les particuliers, les artisans les agriculteurs… Dans certains villages de l’Oesling et de la Moselle, il n’y a pas une seule maison qui n’est pas livrée par l’entreprise.
En 1965, l’entreprise commercialise 100.000 tonnes, ce qui représente 8,5 % du marché national, pour le compte de quelque 8.000 clients. Cette année-là, les activités pétrolières sont cédées à ce qui va devenir le groupe Elf, alors que la petite clientèle résiduelle en charbon est cédée à la société H. Schuler. Le produit de ces ventes est placé dans l’immobilier.
Huit années plus tard, alors que les premières tensions se font sentir sur les marchés pétroliers, le groupe Elf recourt de plus en plus souvent à des transporteurs externes pour les livraisons d’essence. C’est ce qui pousse Marcel Ehlinger, à quitter le groupe pour créer la société Intralux Transports, spécialisé dans le transport de produits pétroliers. En quelques années, elle devient le prestataire attitré de presque toutes les compagnies pétrolières présentes au Luxembourg.
L’écart du prix de l’essence et du diesel entre le Luxembourg et les pays limitrophes, en constante augmentation, fait exploser la vente de carburants aux stations-service, propulsant Intralux Transports à la tête des transporteurs du Benelux spécialisés dans ces produits pétroliers, avec plus de 200 chauffeurs sous contrat. Son volume augmente encore grâce au rachat de plusieurs entreprises concurrentes qui ont abandonné leur activité.
Mais au fil des ans, là encore, les conditions de marché deviennent de plus en plus délicates et la concurrence de plus en plus sévère, ce qui pousse Marcel Ehlinger à se désengager du secteur tant qu’il en est encore temps. C’est chose faite en 1998, les produits de la vente étant, là aussi, réinvestis dans la pierre, plus particulièrement l’immobilier d’entreprise. Une activité qui prend rapidement, elle aussi, un essor extraordinaire, avec l’apport de Martine, la fille de Marcel.
Quelques années plus tôt, elle avait racheté la société H. Schuler et en 2008, il est décidé de rebaptiser le groupe «Groupe Schuler». Le début d’une nouvelle aventure, qui passe notamment par des réalisations innovantes, tels que l’immeuble «Solarwind», un des premiers bâtiments passifs de cette taille-là. Elle gère par ailleurs quelque 125 000 m² de surfaces pour le compte de 300 locataires dans un portefeuille d’une soixantaine d’immeubles.
Retrouvez plus de détails et d’anecdotes sur l’histoire de la famille Ehlinger dans l’ouvrage «Histoires de Familles», édité par Maison Moderne en collaboration avec la Banque de Luxembourg: un ouvrage qui relate la saga de 10 familles d’entrepreneurs et, au travers elle, dresse un portrait original du Luxembourg.
