En ce mois d’avril 2018, la start-up Passbolt, hébergée au Technoport, passe à la vitesse supérieure en lançant officiellement son offre commerciale pour son produit de gestion des mots de passe on-premises et dédié aux entreprises. Déjà testée depuis près de deux ans en mode bêta, la solution open source a atteint un niveau de maturité suffisant pour attaquer le marché, avec des perspectives prometteuses.
C’est quelque part en Inde que l’idée de Passbolt est née. À la tête d’une belle agence web (60 salariés) qu’il a créé et dirigé pendant plusieurs années, Kevin Muller, un jeune Français, était confronté – comme tant d’autres – à la problématique de la gestion des mots de passe. « J’étais moi-même directement affecté, en constatant combien la productivité sur un projet pouvait être réduite de par la dispersion, voire la perte, des informations relatives aux mots de passe et autres codes d’accès. Sans même parler des questions de sécurité et de confidentialité des données. »
Fit 4 Start, le tremplin
D’où une réflexion intensive sur la façon de résoudre ce casse-tête, sachant que les solutions alors proposées sur le marché n’étaient pas optimales, aux yeux de Kevin Muller : « Toutes étaient hébergées dans le cloud et développées avec des technologies opaques, avec les risques que cela suppose en termes de sécurité. Et aucune n’était conçue pour les besoins du travail en équipe, n’offrant pas de fonctionnalité de partage ni de contrôle d’accès. Nous étions plutôt à la recherche d’une solution collaborative, un Google drive mais pour les passwords en quelque sorte. »
Les premiers essais réalisés en interne sont prometteurs, mais bien vite, Kevin Muller et ses associés Cédric Alfonsi et Rémy Bertot souhaitent davantage réfléchir « produit » que « services ». Ils décident alors de tourner la page de l’agence web et se retrouvent… au Luxembourg pour passer du projet à la réalité. « Je viens de l’autre côté de la frontière, côté français, alors le Luxembourg a toujours été pour moi une destination possible. Nous avions par ailleurs de nombreux clients luxembourgeois dans notre agence en Inde. Et lorsque j’ai entendu parler du programme Fit 4 Start par un de nos clients, j’ai pris contact avec Luxinnovation pour postuler. »
Après avoir passé les présélections, les fondateurs de Passbolt ont dû présenter leur projet devant un jury d’investisseurs et de chefs d’entreprises accomplis. « La qualité du projet ainsi que son aspect sécurisation des données a su les convaincre et nous avons été retenus parmi 160 autres startups. S’en est suivi 6 mois de coaching intensifs qui nous ont permis d’éprouver notre business model. »
Deux ans plus tard, il ne peut que constater combien cette démarche a permis à la société d’aller plus vite dans son développement. « Après avoir été lauréats du programme, des investisseurs sont même venus directement nous chercher. Nous sommes vraiment reconnaissant au Luxembourg de nous avoir déroulé le tapis rouge et mis à l’aise en tant que start-up. Le pays se donne vraiment les moyens de devenir une ‘Start-up Nation’ : ce n’est pas un slogan en l’air. »
La sécurité plébiscitée
En débarquant il y a deux ans au Luxembourg, Kevin Muller et son équipe sont repartis d’une feuille blanche pour développer, toujours en open source, leur concept en mettant l’accent sur le modèle de sécurité (asymétrique) et l’utilisation de standards (OpenPGP). L’architecture du logiciel a vite été validée au travers d’un audit très positif réalisé par CakeDC, la société derrière le framework CakePHP, mais aussi en travaillant étroitement avec des hackers au travers des programmes de « Bug Bounty » mis en place.
La solution développée par Passbolt, outre une approche très ergonomique et « user friendly », assure une encryption des données de bout en bout : à aucun moment du processus de communication le mot de passe n’est accessible « en clair ». Par ailleurs, l’encryption se fait via un plug-in totalement autonome, de sorte que même si le serveur informatique de l’entreprise est corrompu et/ou le code source piraté, le contenu de ces mots de passe n’est non plus accessible. « Par rapport aux autres solutions qui existent, nous portons une attention particulière à la sécurité et nous utilisons des standards du marché, les mêmes, par exemple, qu’Edward Snowden utilise pour ses échanges avec les journalistes. Et nous restons open source, si bien que n’importe qui peut analyser notre logiciel, l’intégrer facilement dans son infrastructure, ou même le modifier pour ses besoins. »
Dans le contexte législatif et réglementaire de plus en plus strict, avec l’avènement, en mai prochain, de la réglementation européenne RGPD, les thématiques liées aux données personnelles et à leur protection prennent une importance grandissante. « Nous sommes prêts pour ces échéances », estime M. Muller, « d’autant plus que nous sommes les seuls en Europe à proposer une telle solution de gestion des mots de passe ».
Déjà 15.00 utilisateurs actifs
Au moment de franchir le cap de la commercialisation de sa solution, Passbolt s’appuie sur une phase d’essais plutôt concluante : 20.000 téléchargements enregistrés ces six derniers mois, 15.000 utilisateurs quotidiens du logiciel et une moyenne de 1000 acquisitions organiques par mois (contre 150 au début). Un millier de « pré-commandes » ont déjà été enregistrées pour l’offre commerciale. Une partie du logiciel restera entièrement gratuite, pour des utilisateurs qui sont prêts à prendre en main toute sa maintenance et à se passer de certaines fonctionnalités organisationnelles. Le business model, lui, a été basé sur des projections relativement « conservatrices » : « Pour être financièrement viable, nous devons, pour la première année, atteindre le nombre minimum de 300 clients payants », annonce Kevin Muller. Trois formules différentes sont proposées, en fonction de la taille des entreprises et du nombre d’utilisateurs, pour un tarif mensuel variant entre 4 et 11 euros par utilisateur.
Parallèlement, les trois associés fondateurs (Kevin Muller, le CEO, Cédric Alfonsi, le COO et Rémy Bertot, le CTO) planchent déjà sur de nouveaux développements : une offre « cloud » pour cet été, puis l’intégration de la technologie blockchain dans les « logs » (les historiques) afin de s’assurer à chaque instant de leur intégrité. Passbolt travaille également sur un moyen d’exporter son système d’identification vers d’autres plateformes (Drupal, WordPress, par exemple…), de sorte qu’un utilisateur n’aurait plus à avoir ses identifiants et mots de passe circuler sur le réseau.
Après une première levée de fonds en septembre 2017 (à laquelle s’est ajoutée une aide étatique équivalente et celle de Fit 4 Start), la société prépare pour cet été un second tour pour soutenir son développement, notamment en termes de support et de marketing. « Si nous voulons accélérer notre développement, nous devons recruter vite. Et nous avons de très intéressants KPI à présenter aux investisseurs. »